Billet - "Elisabeth Borne, est le leader d’une nouvelle ère politique qui veut en finir avec l’inflation des égos et du pouvoir exécutifs"
C’est historique, avec l’élection de Yaël Braun-Pivet à la Présidence de l’Assemblée nationale, la désignation d’Aurore Bergé à la tête du groupe majoritaire et la nomination à Matignon d’Elisabeth Borne, une troïka féminine prend les rênes opérationnelles de la majorité présidentielle. Qui eut cru cela, 19 juin dernier tandis que l’Assemblée nationale affichait un recul du nombre de femmes dans l’hémicycle et tandis que la grande cause du quinquennat, faisait encore figure de poids léger face aux poids lourds (sic) du gouvernement. Personne. Profitant de la sidération qui frappait les hommes politiques en place et les laissait sous le coup de l’émotion, les femmes de la majorité, avec raison, de leur longue préparation, se sont invitées par surprise dans la place. Que nous révèle élévation du pouvoir à la puissance femmes ? Retour sur ce qui a cédé ce mardi et sur ce qui résiste encore.
La revanche des femmes ou le retour du refoulé macronien (ce qui a cédé).
Cette prise pouvoir féminine nous révèle d’abord ce qui a cédé en Macronie, à savoir un véritable barrage au pouvoir fait aux femmes de la majorité depuis 5 ans. En 2017, Emmanuel Macron avait pourtant accompli un exploit historique en faisant entrer un nombre inédit de députées à l’Assemblée et en faisant de l’égalité entre les femmes et les hommes, la grande cause du quinquennat. A l’époque, beaucoup se sont réjouis de ce tournant féministe, avant de comprendre que le patriarcat à peine disparu, allait être remplacé par sa version rajeunie et tout aussi vigoureuse : le fratriarcat. Pas un poste au sommet de l’Etat qui ne soit attribué à un homme : l’Elysée, Matignon, l’Assemblée, le Sénat, le Conseil d’Etat, le Conseil Constitutionnel, le Conseil de la Magistrature, la totalité des partis politiques, la totalité des groupes parlementaires etc. Une hécatombe. Le tout renforcé par un aéropage de conseillers élyséens quasiment unisexe, pratiquant à l’envi les réunions et les décisions en non-mixité. Ajoutons les manifestations viriles de solidarité masculine au sommet y compris quand le masculin exprimait le pire de lui-même qui achevaient d’offenser nombre de femmes Françaises et de décourager celles et ceux qui, dans la majorité, découvraient que rien, non rien décidément n’avait changé. D’aucunes, dont je suis, affirmaient même que le plafond de verre était plus épais que jamais.
Mais alors, que s’est-il passé pour que les digues cèdent ? Un phénomène bien connu des chercheurs en gender studies, que ceux-ci appellent « l’effet des falaises de verre » (glass-cliff effect). Cette théorie mobilisée pour expliquer, dans l’entreprise, les conditions d’accès des femmes au sommet, pose l’hypothèse selon laquelle l’accès des femmes aux plus hautes fonctions est corrélé à la survenue des plus hautes difficultés pour l’entreprise. Dit autrement, c’est quand la situation d’un organisation est désespérée et que les décideurs habituels ont épuisé toutes les solutions habituelles, que les verrous cognitifs sautent sous l’effet du déboussolement, et que s’envisagent un scénarii jamais imaginé jusque-là : nommer une femme ! Comme si face à l’inconnu et à l’ingérable, il fallait opposer une solution tout aussi inconnue et ingérable : la femme, cette être insaisissable et mystérieux ! Le problème, un brin pervers, soulignés par les auteurs de la théorie, c’est que mécaniquement les femmes qui accèdent au pouvoir se retrouvent en général dans des situations bien plus périlleuses que leurs homologues masculins, les exposant plus surement à l’échec que ces derniers. Mais, comme le précise un autre théorie bien connue, celle du double standard, les femmes ont acquis l’habitude d’une exigence disproportionnée lorsqu’il s’agit de leur réussite ! Souhaitons donc à Elisabeth Borne, Aurore Bergé et Yaël Braun-Pivet de bonnes semelles anti-dérapantes pour escalader les falaises de verre qui les attendent dans les prochains mois !
Ainsi nous aurions tort de conclure, que l’accès de ces femmes de grand talent est le fruit de la culture Macronienne. Au contraire, il est bien plutôt le retour flamboyant du refoulé macronien. Ce projet qui se voulait originellement féministe, qui avait nourri tant d’espoirs féminins, revient à son propriétaire depuis le tréfond de l’inconscient Macroniste sous forme de destin pour reprendre le mot du psychologue Carl Jung.
Quand les femmes entrent dans la lumière, l’ombre du pouvoir se révèle (Ce qui résiste)
N’allons cependant pas crier au triomphe du talent sur les préjugés sexistes et à la victoire de l’adelphité en politique. Le fratriarcat résiste toujours et recycle les vieilles ficelles ancestrales pour veiller à renouer les fils de sa tradition. Pour preuve, le traitement réservé à sa probable future victime : Elisabeth Borne, première ministre nommée par Emmanuel Macron. Elle qui incarna si bien la compétence, est désormais celle que l’on choisit pour son sexe et que l’on risque de remercier pour la même raison. Ainsi se murmure-t-il dans les coulisses de la Macronie, qu’avec une femme au perchoir et une autre à la tête du groupe parlementaire, il serait désormais loisible de remplacer l’impétrante Elisabeth par un homme. Cet « homme providentiel » (sic) dont rêve une classe politique qui n’en finit plus de s’abandonner au fantasme du grand homme, ignorant que celui-ci porte en lui l’hubris que les Français leur ont pourtant sévèrement reproché le 19 juin dernier. Aux hommes l’exécutif, aux femmes le législatif, le fort et le doux, car en toute chose, il faut mettre fin au chaos et retrouver l’ordre habituel. Surtout quand le doux prétend jouer au fort !
Dès lors les jours d’Elisabeth semblent compter. La voilà, à son tour et comme toutes les femmes de pouvoir, victime de ce que j’ai appelé le « syndrome de la femme à barbe » et qui illustre une autre théorie issue des gender studies, celle de l’incongruité. Selon son auteure Alice Eagly, chercheuse en psychologie, les femmes dans des postes de leadership se voient toujours infliger ce double reproche de n’être à la fois pas assez « femme » et pas assez « leader ». Il faut dire que notre stéréotype de ce qu’est une femme (doux, émotionnel, diplomate, considérant etc.) ne se marie guère avec notre stéréotype du leader (fort, rationnel, charismatique, affirmé etc.). Ainsi une femme qui endosse les habits du leader se voit elle invariablement reprocher de n’être pas assez femme (Elisabeth borne est « un robot » qui doit « fendre l’armure ») en même temps que pas assez leader (Elisabeth Borne est « transparente », « le fantôme de Matignon »), car si le stéréotype masculin (fort, rationnel, charismatique, affirmé etc) colle parfaitement avec celui du leader, en revanche quand il se conjugue au féminin, il produit le même effet sur l’entourage que celui que suscitaient les femmes à barbe exposées dans les foires il y a à peine un siècle. C’est bizarre, cela nous met mal à l’aise, cela doit cesser !
Il sera donc intéressant de voir si nous sommes capables de surmonter le sentiment d’étrangeté que suscite une femme à Matignon, qui plus est avec un style de leadership totalement différent de ce qui est attendu dans la pratique Française habituelle de la Vème République.
Car en réalité de quoi Elisabeth Borne est-elle le nom ? Notre première ministre, pour laquelle j’avoue sans honte une certaine admiration, est le nom de notre détermination et de notre courage quand vient le temps de changer nos mœurs politique et une pratique du pouvoir dont les Français ne veulent plus, dont le pays et nos institutions n’en peuvent plus. Elisabeth Borne, est le leader d’une nouvelle ère politique qui veut en finir avec l’inflation des égos et du pouvoir exécutifs, qui réclament un leadership soucieux d’équilibre et de respect des pouvoirs, qui rêve de coalition à l’allemande et pourquoi pas, d’une première ministre en forme de chancelière. Personne n’a jamais trouvé Angela Merkel charismatique, encore moins présidentielle. Et pourtant. Si Elisabeth Borne reste à Matignon, nous saurons que nous sommes en train de changer. Si elle est remerciée, il est à craindre qu’il nous faille à nouveau recommencer, faute de maturité.
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